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En Uttar Pradesh, la corruption à ciel ouvert...

Publié le par road-movie

Le scrutin dans cet Etat indien aussi peuplé que le Brésil est un test pour le premier ministre Narendra Modi, qui en a fait un enjeu national.

Ce sont des élections régionales qui vont faire battre le cœur de l’Inde pendant près d’un mois et dont les résultats pèseront lourd dans la politique nationale. Les électeurs de l’Uttar Pradesh, Etat le plus peuplé du pays avec près de 220 millions d’habitants, sont appelés aux urnes, samedi 11 février, pour renouveler le parlement régional. Le scrutin va se dérouler en 7 étapes, jusqu’au 8 mars.

L’Uttar Pradesh abrite l’équivalent de la population du Brésil sur un territoire grand comme la moitié de la France, et enregistre l’un des taux de pauvreté les plus élevés d’Inde. La corruption y est, avec le kabaddi (un mélange de rugby et de lutte), l’un des sports les plus pratiqués. A chaque campagne, on ne compte plus les voitures, aux coffres remplis de billets, saisies par les observateurs de la Commission électorale. Car les tractations se font aussi en espèces sonnantes et trébuchantes. La plupart des candidats doivent s’acquitter de sommes élevées pour obtenir l’investiture d’un parti, vite remboursées en cas de victoire grâce aux pots-de-vin prélevés pendant leur mandat.

photo A.pizio / varanasi 2017

Une aventure risquée

La politique y est l’aventure entrepreneuriale la plus risquée et l’une des plus convoitées. 6 839 candidats issus de 223 partis se sont disputé les 403 sièges de l’Assemblée lors des précédentes élections de 2012. Certains feront campagne depuis leur cellule de prison. Un candidat, qui s’est présenté en indépendant et a admis ne vouloir être élu que pour « gagner de l’argent » et « ridiculiser les électeurs », s’est vu décerner le titre de « candidat le plus honnête » par des médias indiens. D’autres partis espèrent au contraire remporter des voix sur leur programme, à l’instar du Parti des femmes, qui combat le patriarcat. Le millefeuille de castes, de sous-castes et de religions rend tout pronostic extrêmement fragile, d’autant plus que les rumeurs parties des premières circonscriptions où les électeurs sont appelés à voter risquent d’influencer, au cours des semaines suivantes, les scrutins des autres circonscriptions.

Le premier ministre indien, Narendra Modi, s’est lancé dans ces élections comme dans un scrutin national, à tel point que son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), n’a pas dévoilé le nom du ministre en chef qui serait désigné en cas de victoire. « Cette stratégie est périlleuse car elle consiste à transformer ces élections en un scrutin pour ou contre Modi », estime Badri Narayan Tiwari, professeur à l’Institut de sciences sociales Govind-Ballabh-Pant, à Allahabad. Lors des élections nationales de 2014, M. Modi l’avait emporté dans près de 90 % des circonscriptions de la région. S’il enregistre le même score, il pourra compter sur des élus supplémentaires à la Chambre haute du parlement de Delhi, désignés par les assemblées régionales, où son parti est encore minoritaire. Une victoire pourrait donc lui offrir une plus grande marge de manœuvre au niveau national.

Les résultats donneront des indications sur la popularité de ses réformes, dont celle de la démonétisation lancée en novembre 2016. Du jour au lendemain, 86 % des billets en circulation ont perdu leur valeur, ralentissant l’activité économique. Mais cette réforme est perçue, par beaucoup, comme une mesure de lutte contre l’évasion fiscale et de justice sociale.

Une affaire d’arithmétique

Deux puissants partis régionaux font face au BJP. Le Bahujan Samaj Party (BSP, Parti de la société majoritaire), mené par la « reine des intouchables », Behan Kumari Mayawati, espère reconquérir le pouvoir grâce aux voix des castes inférieures et supérieures et des musulmans. A ses côtés, le Samajwadi Party (SP, Parti socialiste) espère l’emporter grâce aux voix des castes intermédiaires et des musulmans. Les musulmans, qui représentent 19 % de la population, sont particulièrement courtisés lors de ce scrutin. « Or ils choisiront sans doute le parti qui a le plus de chance de battre le BJP, le parti nationaliste hindou », avance Badri Narayan Tiwari. A cet égard, le SP, qui a noué une alliance avec le Parti du Congrès, semble bien positionné. Le BJP cherche au contraire à mobiliser derrière lui les castes hindoues en polarisant sa campagne sur l’identité religieuse.

Il suffit de rentrer dans la salle d’un quartier général de parti indien, aux murs tapissés de diagrammes représentant les forces politiques en présence, à savoir les centaines de castes et sous-castes, pour comprendre que la victoire dans l’Uttar Pradesh est affaire de combinaison arithmétique. Or celle-ci varie d’une circonscription à l’autre, surtout parmi les musulmans. Un nouveau thème, par-delà les castes, a toutefois émergé au cours de cette campagne : celui de la bonne gouvernance.

Le ministre en chef sortant, Akhilesh Yadav, du Samajwadi Party, n’a cessé de mettre en avant les projets d’infrastructure lancés pendant son mandat, et a écarté des investitures de son parti les candidats aux casiers judiciaires les plus fournis. « Mon travail parlera de lui-même », a été son slogan pendant la campagne. « L’un des enseignements des précédents scrutins régionaux, c’est que l’électorat récompense les partis qui redistribuent les richesses sans discrimination liée à la caste », analyse Gilles Verniers, professeur à l’université Ashoka de New Delhi. En perdant le monopole de la bonne gouvernance, le pari politique de M. Modi est risqué. Les résultats des élections dans l’Uttar Pradesh, ainsi que dans le Pendjab, l’Uttarakhand, à Manipur et à Goa, seront connus le 11 mars.

Source : www.lemonde.fr

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