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Réalité de la culture de la société Kanak

Publié le par road-movie

Flèches faîtières - photo A. Pizio
Flèches faîtières - photo A. Pizio

( Texte destiné à être publié dans la Revue juridique, politique et économique de Nouvelle-Calédonie. )

Par Jean Guiart

LA RÉALITÉ DE LA CULTURE ET DE LA SOCIÉTÉ CANAQUES

La réalité vue de manière pragmatique, c’est-à-dire ce qui existe et ce qui n’existe pas, ce qui marche et ce qui ne marche pas. Il ne s’agit pas de proposer un discours sur la parole qui est un acte, etc. Ce discours devenu classique est trop imprécis et par conséquent trop difficile à manier dans un contexte d’analyse scientifique.et seule l’analyse scientifique, si elle est effective, peut permettre de comprendre, et peut-être d’agir utilement.

Les données qui suivent sont fondées exclusivement sur des faits réels, une expérience de terrain portant sur trois quarts de siècle, de terrain véritable et non d’une mise en scène (allant partout à pied ou à cheval, avec un seul ruksack, vivant chez les gens, mangeant ce qu’ils mangent, et jamais à part de la nourriture pour Blancs, dormant sur la natte, travaillant s’il le fallait au milieu de la nuit : voir la tradition dite acaulum à Lifou, on vous réveille au milieu de la nuit avec ces paroles mêmes prononcées d’une voix forte, en vous offrant du café brûlant, mais le partenaire est alors à votre disposition pour travailler) et non des a priori ou des discours théoriques.

La méthode d’inventaire de toutes les institutions formalisées repérables, situées dans l’espace et dans le temps, poursuivie en Nouvelle Calédonie, aux îles Loyalty et au Vanuatu, a été complétée par des inventaires fonciers parcelles par parcelles, relevées in situ, sur la Grande Terre : à Houaïlou (Nerhëghakwea, Néavin) et le haut de la rivière Pouembout, à Ouvéa et Lifou (de Wedrumel à Ke- jany, Hmelek et Thuahaik et aux îles Shepherd au Vanuatu), puis par des cou- vertures généalogiques exhaustives au pays de Lôsi, Lifou (de Hmelek, Thuahaik à Kejany et Wedrumel, cf. atlas orsToM de la Nouvelle Calédonie), ainsi qu’à Tongariki et aux îles Banks au Vanuatu (excepté l’île de Santa Maria, dite aussi Gaua).

Des comparaisons et des confirmations ont été recherchées sur place aux îles Fiji, à Samoa et Tonga, aux îles Salomon et en Papouasie Nouvelle Guinée (Nouvelle Guinée occidentale à l’époque hollandaise : vallée de la Baliem ; région Tolai, nord-est de la Nouvelle Bretagne ; vallée du Sépik).

Personne n’a réalisé en parallèle un tel travail : un jeune collègue protestant irlandais devenu australien me disait récemment: «Le problème avec toi, c’est que tu es si consciencieux !» (so thorough).

Premier principe de méthode : aucun terme latin (tribu), français (chef, su- jets, sorcier), anglais (chieftain), écossais (clan), ou pris ailleurs dans le monde (Indiens Ojibwa de l’Etat de New York : totem ; Sibérie : chamane) ne correspond à cette réalité et ne doit être utilisé pour la traduire. Ils ne créent que de la confusion. Seuls en chaque cas les termes de la langue vernaculaire sont pertinents, qui doivent être placés successivement dans toutes les situations de terrain effectivement rencontrées, de manière à dessiner en quelque sorte l’emprise intellectuelle de chacun.

Conséquence : la coutume canaque n’existe pas, c’est un concept occidental plaqué sur la réalité et qui n’a d’autre résultat que d’en embrouiller la com- préhension, agissant comme une espèce de philtre de sorcière. On croit comprendre et savoir et l’on se trompe à tous les coups. Ce concept est une véritable malédiction, d’autant qu’il est manié sans la moindre prudence par n’im- porte qui, par des individualités dont l’ignorance du sujet est quasi totale, ignorance qui a abouti entre autres en fin de compte aux morts d’Ouvéa et plus récemment à ceux de Maré, après les massacres de la période coloniale (Pouébo — Hienghène ; région de Nouméa — Mont Dore — Yaté ; transversale Koné — Tiwaka ; zone insurgée de 1878 : La Foa, Kouaoua, Bourail, Poya).

Les Océaniens nous renvoient par contre à chaque fois notre vocabulaire, de façon à ce que nous continuions à ne rien comprendre, solution qui est celle les arrange le plus souvent.

Il s’y ajoute les ignorances de mauvaise foi, si nombreuses à Nouméa et dont certaines sont canaques, qui nous ont créé de toutes pièces à l’île des Pins l‘affaire des frères Konhu, qui n’est autre chose qu’une tentative nouvelle de spoliation de terres canaques, tentative renouvelée de la même plus ancienne tentée par Henri Martinet, qui avait abouti à l’incendie du «Relais de Kanumera» parce qu’on avait construit des bungalows au culot sur un des sites les plus sacrés de l’île, connu pourtant dès 1900 par une illustration dans l’ouvrage du Père Lam- bert, site qui appartenait aussi aux frères Konhu, dont par conséquent on voulait se débarrasser définitivement par n’importe quels moyens. On a vu où cela me-

nait la justice française, à se déconsidérer publiquement, l’honneur étant sauvé par l’action de la Ligue des droits de l’homme sous une présidence canaque.

Mais s’il n’existe ni coutume, ni coutumiers, ni tribus, ni clans (terme utilisé par les auteurs anglais et importé par Maurice Leenhardt), ni petits chefs de villages (ces agglomérations coloniales autour de l’église ou du temple sont des constructions nées de la christianisation), ni grands chefs de districts (districts définis artificiellement par la gendarmerie au cours des années trente), c’est qu’il existe autre chose.

Deuxième point de méthode : cet autre chose peut être approché par des moyens indirects, en particulier par la comparaison des comportements individuels et collectifs d’un archipel à l’autre et pas en collectant des déclarations générales. Il s’en dégage un certain nombre de facteurs communs qui sont très loin de ce qu’avancent constamment les littératures coloniales, grises ou pas.

1. La terre, et la mer, ne relèvent d’aucune notion de propriété, ni individuelle ni collective (la notion de propriété collective du sol a été inventée par un gouverneur disciple des socialistes utopistes du XIXe siècle et en conséquence de la notion parfaitement imaginaire de communisme primitif, reprise sans la moindre justification par Freud sous la forme du père primitif, ur-Vater). Ni la tribu, ni le clan, qui n’existent pas, ne sont propriétaires de quoi que ce soit. Ils s’agit de l’affectation de droits, qui doivent être rendus en l’état, intégralement, à la mort de chaque titulaire successif.

2. Les droits à l’utilisation de la terre et de la mer, par tranches allant, dans les petites îles, du sommet de la montagne à la limite extérieure du récif (voir Ronald Crocombe pour Rarotonga, aux îles Cook), sont liés au nom individuel (qui n’est en rien un prénom à l‘européenne), donné à la naissance, au cours d’une réunion groupant les deux parentés, féminines et masculines, le représentant de la chefferie authentique à laquelle elles sont liées l’une ou l’autre (le chef officiel n’est jamais invité, à moins qu’il ne soit un parent proche), plus le représentant d’une autre lignée sans descendant mâle, ou presque et qui pourrait avoir un nom à proposer et ce qui va avec, le statut foncier et le statut social. La discussion peut durer plusieurs jours. Le résultat est définitif et ne saurait être révisé.

Chaque groupe de descendance dispose ainsi non d’un territoire, comme le veulent bien à tort les géographes, mais d’un lexique de noms qui lui sont pro-

pres, et à chacun desquels est attaché un statut foncier et un statut social (cette situation est identique dans la vallée du Sépik en Nouvelle Guinée). L’addition de ces noms constitue, dans un lieu et un temps donnés, la représentation de l’emprise spatiale du groupe de descendance, qu’il soit patrilinéaire ou matrilinéaire, ou plus souvent les deux à la fois.

Mais ce groupe n’a jamais, en tant que tel, de décision collective à prendre en ce qui concerne la terre, sinon celle de s’y maintenir ou de la quitter devant un danger extérieur.

En bon français local, le «clan» n’a rien à dire en ce qui concerne les par- celles reçues à la naissance du fait du nom attribué à l’enfant. Il ne peut rien changer au cours de la vie sans l‘accord explicite de l’intéressé et les désaccords sur de tels points peuvent durer plusieurs générations. Bien sûr, la réalité est faite aussi des moyens de pression exercés sur les uns et les autres par des personnes qui se croient revêtues d’une autorité du fait du système colonial, ou qui exercent ces pressions comme un moyen de lutte contre le dit système. Les uns et les autres, pour abuser les Blancs, diront qu’il s’agit du clan. Il ne s’agit là pas de droit «coutumier», mais d’un abus de langage cachant une escroquerie intellectuelle d’où dérivent de multiples abus de confiance matériels.

Mon collègue américain Lamont Lindstrom aboutit à une analyse identique à la mienne en ce qui concerne l’île de Tanna au Vanuatu. Il se trouve même qu’il l’a exprimé par écrit et avec clarté avant moi. J’ai eu du mal à comprendre ce qui m’était au départ si étranger. J’ai de la reconnaissance aux gens de Maré pour l’effort qu’ils ont fait pour me faire toucher du doigt ce que je ne voyais pas.

Les interventions de soi-disant clans dans des successions canaques, sous couvert de chefs officiels manipulateurs et de gendarmes abusés, qui consistent à se saisir de la voiture et de l’argent du couple et à laisser la veuve et les enfants démunis, au nom de la délibération d’un soi-disant du Conseil des Anciens (autre institution imaginée par les Blancs et transformée souvent dangereusement par les Canaques), ne sont jamais qu’un abus de confiance camouflé (voir une affaire scandaleuse aussi bien que tragique à Koné il y a quelques années).

Les petits chefs de tribus (villages canaques), imaginés par les Blancs, ne disposent d’aucun pouvoir légitime d’aucune sorte. La notion que les grands chefs authentiques seraient maîtres de la terre a été empruntée à l’Ancien Testament et

naquit de la Christianisation et de chefs malins revendiquant devant les missionnaires les pouvoirs des rois David et Salomon.

3. On doit préciser que le fils, ou la fille, n’hérite en aucun cas, au plan foncier, ni de son père, ni de sa mère. Il, ou elle, peut par contre hériter ou pas d’objets matériels (une massue, un plantoir à taros, un repose-nuque, des nattes, etc.), ou immatériels (l’appartenance à un groupe de descendance, des concepts culturels, des motifs de décor ou de sculptures, la capacité masculine ou féminine de voyance, la fonction de guérisseur, ou de guérisseuse, etc.).

4. La transmission de la terre saute toujours une génération et va d’un grand- père, vrai ou classificatoire, à un petit-fils, vrai ou classificatoire. Ce dernier héritera de la terre parce qu’il a hérité du même nom que portait son prédécesseur, nom auquel il pourra en ajouter d’autres, qui auront alors d’autres significations (tels les surnoms anglais destinés à l’époque à tromper la gendarmerie : fook, sipun, sootr, et à échapper à la réquisition). La multiplicité des noms des hommes est une constante en Océanie. Elle est un résumé de leur carrière sociale et en même temps un des principaux pièges dressés devant les pas de nos historiens. Cela est un peu moins vrai des femmes. Le même personnage peut être connu sous des noms différents et l’on imagine alors des acteurs différents.

5. L’idée que les femmes n’ont pas droit à la terre est une idée fausse. Elles peuvent représenter leur groupe en tant que dernière descendante lorsqu’il n’y a plus d’hommes et alors participer à la désignation d’un nouveau nom attribué à la personne extérieure qui reprendra en charge le groupe et ses biens. Elles peu- vent aussi se voir attribuer, à titre personnel, pour le temps d’une génération, des terres particulières selon leur rang.

A Ouvéa, ce sont les mères, intervenant dans le combat qui s’arrête devant elles, qui reçoivent en terres le prix du sang de leurs fils morts à la guerre. Ces terres particulières sont classées à part dans l’inventaire foncier que l’on peut ob- tenir, et toujours aujourd’hui à leur nom.

Sur et autour d’Efate, au Vanuatu, les femmes apportent à leur mariage des pièces de terre, pwaumaso, qui leur appartiennent en propre et qu’elles trans- mettent à leurs filles.

Le concept de la supériorité des hommes sur les femmes a été introduit par le christianisme, qui voit dans le chef de famille celui qui a le privilège de parler à Dieu. La conception ancienne était celle d’un équilibre comportant le partage

des tâches matérielles et des responsabilités, et la complémentarité des fonctions symboliques. Le système colonial français y a ajouté la brutalité induite par l’alcool, les yachts anglo-saxons de passage dans le lagon d’Ouvéa ont introduit le cannabis comme une sorte de religion. Le mélange des deux provoque aujourd’hui des comportements destructeurs.

Là où ce degré de déculturation voulue par les Blancs ne s’est pas encore attaqué aux structures anciennes, on note des comportements collectifs féminins qui peuvent laisser les hommes sans réponse adéquate, devant des phénomènes de modes balayant des îles, les femmes s’appropriant par exemple tout d’un coup les jeux de cartes ayant la faveur des hommes (jouant aux cartes jour après jour sur Ambrym pendant deux semaines sans plus s’occuper de nourrir leurs maris qui traînaient aux marges de ce nouvel univers féminin où les femmes n’écoutaient même pas les objurgations du missionnaire catholique) ; essayant l’une après l’autre dans un village adventiste du Septième Jour à Malekula un bossu qui sera chassé par les hommes (qui éviteront soigneusement de s’en prendre à leurs épouses) ; ou maîtrisant une association des femmes mise sur pied par la mission anglicane pour imposer leurs vues sur l’enseignement primaire au niveau du vil- lage (un enseignant proclamant sur la porte de l’école aux îles Torrès sa grève due au conflit avec les femmes, les hommes refusant de s’en mêler).

L’affaire du village de Kowei à Touho montre jusqu’où peut aller la soli- darité féminine là où le système colonal est resté le plus pesant, et le plus nocif, s’imposant encore aux meilleures têtes. Il s’agit là d’une micro région où les seules terres arables étaient les dunes de bord de mer améliorées par la présence de pierres ponces issues des points chauds sous-marins prolongeant le Vanuatu vers le sud. Les premières rangées de collines constituent une sorte de désert im- possible à cultiver.

Kowei était le village le plus mal loti, établi de part et d’autre de la route, sur la dune de sable, catholique au nord et protestant au sud, et s’il n’y avait pas la mer et les poissons, voué à la famine. Aucun décideur au cours du siècle passé ne s’est préoccupé de cette misère profonde. Il eut fallu tailler dans les terres spo- liées par les Blancs.

Les conséquences inéluctables seront une atmosphère de révolte et de vio- lence sourde. Touho-Mission tout à côté aura le privilège d’être le premier village canaque d’après-guerre dont la population jeune partira à l’attaque de la gendarmerie. Il y avait déjà des fusils, qui seront utilisés seulement contre des objets matériels, mais c’était déjà un signe de ce qui serait à venir.

Une plantation de cocotiers au nord de Touho-Mission sera mise en vente, pour y établir un hôtel, le «Coco Beach», pas pour rendre la terre au village de Touho-Mission, qui pourtant en aurait eu le plus grand besoin. Jean-Marie Tjibaou s’est occupé du dossier, y montrant son côté pas très sympa. Au lieu de donner les emplois au village voisin, qui était Palika, il exigera qu’on aille chercher tous les matins des jeunes gens de Kôgomwê, à 20 km au nord, parce qu’ils étaient Union Calédonienne. Le résultat sera que les jeunes gens de Touho-Mission à côté se montreront si désagréables vis-à-vis des touristes que l’hôtel devra fermer. Il sera racheté par les pouvoirs publics, qui y installeront une structure d’enseignement de santé et les Touho-Mission squatteront silencieusement les terres qu’on n’avait pas voulu leur rendre.

L’épouse d’un enseignant du Lycée Technique de Touho, promesse des accords de Matignon, lycée dont les débuts seront difficiles, se mit en tête de faire son jogging le matin, sur la route publique traversant le village de Kowei, en petit short très court. Elle serait allé vers le nord, elle serait encore vivante. Les femmes de Kowei ont pris sa venue régulière comme une agression sexuelle vis-à-vis d’elles-mêmes. Elles ont condamné la Blanche à mort et ont trouvé l‘exécuteur, qui règlera l’affaire d’un coup de fusil dans l’axe de la route, puis se gardera bien de rester sur place. On expliquera à l’idiot du village ce qu’il fallait dire aux gendarmes pour ne pas se faire tabasser. Il avouera le crime et sera condamné, la justice se voyant confier de ce fait la charge d’un aliéné plutôt tranquille, qui avait cherché à faire plaisir à tout le monde. Personne ne s’était posé la moindre question, ni n’avait imaginé une telle intrusion de la collectivité des femmes, ni l’uni- vers si particulier auquel les avait condamné un siècle et demi de violence et de misère coloniales jamais corrigées.

6. Au cours de la période de déficience démographique, les nouveaux-nés recevaient plusieurs noms, à charge pour eux par la suite de redistribuer ces noms et ces statuts au fur et à mesure des naissances désirées, ce qui est en train de se réaliser depuis les années soixante du siècle dernier. Cet état-civil multiple caché a duré plusieurs générations, sans que son existence ait été révélé de la moindre manière ni aux missionnaires catholiques ou protestants, ni à l’administration coloniale. Une grande part des droits fonciers ainsi maintenus se place sur des terres occupées par les Blancs. La spoliation foncière coloniale n’a jamais été ni acceptée ni reconnue par la société canaque. Elle ne l’est toujours pas. Il n’existe aucun moyen de transformer ce fait fondamental et qui ne cessera de prendre de l’ampleur du fait de la progression démographique mélanésienne. Il peut servir

à déstabiliser les meilleures opérations politiques.

7. Le jeu de l’ordre de naissance est fondamental. L’aîné, fille ou garçon, est celui ou celle qui commande. La fille première-née est élevée à commander les hommes et le fait remarquablement et avec une parfaite efficacité. Je n’ai ja- mais vu un homme tenir tête à une fille première-née.

L’histoire des dernières générations montre constamment des décisions de première importance prises par des filles premières-nées. Quand elles sont mariées, c’est elles qui remplacent leurs maris en l’absence de ce dernier et non un frère de ce dernier. Elles sont en effet toujours automatiquement de rang plus élevé que quiconque de leur environnement masculin, et leurs enfants de même, ce qui a été montré pour Fiji et Tonga pour la première fois au début du XIXe siècle par des missionnaires méthodistes, mais va pour toute la région. Le seul moyen de les neutraliser était de tuer leurs enfants.

8. L’existence prétendue de sociétés de consensus est de même une aimable plaisanterie. Toutes les sociétés océaniennes sont, d’une façon ou d’une autre, des sociétés de compétition de prestige, dont le jeu ne relève pas toujours de la charité chrétienne. Par contre, ces systèmes ne consistent pas à détruire l’adversaire, sinon il n’y aurait plus de jeu possible et il y a donc des seuils à ne pas dé- passer, et l’on peut même aider l’opposant à franchir une passe difficile. Mais, malgré toutes les précautions prises par les meilleurs joueurs, l’humiliation de l’adversaire peut aller trop loin, au point de provoquer un suicide, surtout chez un acteur âgé qui sait l’impossibilité de remonter la pente (Siuai, îles Salomon du nord). Aux îles Trobriands, Malinowski a montré comment les femmes bafouées se suicidaient par privilège en sautant du haut d’un cocotier. Ce qui est un suicide de vengeance, la femme morte ayant accès à une puissance plus grande que si elle était restée vivante.

9. Maurice Leenhardt nous a décrit l’action bienveillante attendue de la part de l’oncle utérin au bénéfice du fils de sa sœur. Mais il n’a pas noté une nuance importante. Du fait des très nombreux mariages entre groupes de descendance appartenant à des réseaux antagonistes, l’oncle utérin peut se retrouver à la tête des ennemis potentiels, ou réels, et ne plus du tout être autant bénisseur.

Waya Gorode (Mon école du silence) décrit une scène où son arrière grand- père est livré sans pouvoir répondre et ne pouvant que parer, aux sagaies et aux pierres de fronde parfaitement dangereuses lancées par ses parents utérins.

Cette tension explique les pillages (vélos, motos, autos, petits navires côtiers) et les destructions (d’arbres fruitiers, mais aussi de bétail), qui ont lieu lors du rite du jedo, à la conclusion des premières cérémonies de deuil. Mais aussi les mêmes pillages et destructions à l’occasion d’une décision d’exil d’un individu et de sa famille, y compris aujourd’hui d’exil à la ville, assimilé à une sorte de mort civile.

10. Les descriptions européennes des apports de prémices de la récolte d’ignames en un jour par an à la chefferie comme un tribut sont fausses. En effet, le chef légitime doit rendre l’équivalent de ce qu’il a reçu. Sa première épouse, fille première-née de grande famille, assistée d’un serviteur spécialisé de la cour du chef, le hnalapa à Lifou et Ouvéa, doit enregistrer soigneusement tout ce qui a été reçu. Chacun des donateurs en effet aura soin au cours de l’année de venir rendre visite à la chefferie, jusqu’à ce qu’il ait mangé lui-même avec les siens l’équivalent de ce qu’il a apporté, et il convient absolument qu’à ces occasions, il ne mange pas ses propres ignames, ce qui serait à la fois insultant pour lui et de mauvais augure pour la chefferie. Le résultat est que le chef a besoin de sa propre production, dans les champs où il travaille de ses mains avec sa propre fa- mille, pour compléter l’apport des membres des lignées qui lui sont le plus proches.

Il n’y a là aucune possibilité d’accumulation au-delà de l’année, les ignames ne durent que quelques mois et les taros quelques jours une fois sortis de terre.

Les richesses parfois accumulées sont dues au travail des femmes, les nattes et les rouleaux de tapa, étoffes végétales tirées par battage humide du liber de l‘écorce du mûrier à papier, planté près des habitats. En Nouvelle Calédonie, le battoir à tapa en bois dur, sculpté par les hommes au bénéfice des femmes, est aussi le plantoir à taro, servant de support ainsi à un système symbolique complexe de complémentarité des sexes.

Ces rouleaux de tapa peuvent prendre aux îles Fiji des dimensions considérables, grâce à une méthode de collage sophistiquée, mais la technique du tapa est connue dans toute la région, le nattage fin pouvant lui être préféré pour les étuis péniens masculins et les jupes courtes des femmes (d’Efate à Malekula). Mais ces biens sont fragiles et leur durée de vie ne permet pas la mise sur pied d’un véritable système d’accumulation primaire.

Là où il existe, ailleurs qu’en Nouvelle Calédonie et aux îles Loyalty, le porc nourri de taros est un moyen d’accumulation au-delà de quelques années, mais ils finissent tous au four et l’accumulation océanienne s’arrête là : aux

pierres du four enterré. Justement parce que cette accumulation n’a d’autre rai- son que le prestige d’avoir pu sacrifier le plus grand nombre possible de bêtes. Par cent ou parfois mille à la fois.

11. D’autres notions qui relèvent du folklore colonial européen et non de la tradition canaque sont de la même manière purement imaginaires, celles de sorciers (il n’existe que des devins, voyants et voyantes, guérisseurs et guérisseuses, en plus des prêtre des dieux canaques) en plus des prophètes, et celle de «chef de guerre».

Ce dernier concept recouvre une autre réalité, celle de l’existence de guerriers célèbres qui peuvent être les champions militaires de leur bord (Lifou, Efate au Vanuatu et Ana’a aux Tuamotu), mais aussi les exécuteurs d’individus considérés comme dangereux parce qu’imprévisibles ou violant les règles de la vie courante. Les jeunes adultes qui courent les femmes mariées peuvent y laisser la vie.

D’Hawai’i aux îles Loyalty, l’exécution se pratique de la même manière, par surprise, en utilisant une petite massue de pierre polie et en frappant sur la nuque.

Le dernier Européen tué au nord Malekula, Mazoyer, qui avait enlevé deux femmes, épouses du même homme, en 1939, a été liquidé par l‘exécuteur, le mako, appelé par le chef de Tènamit qui avait été offensé, ayant offert un porc de valeur pour la libération des femmes. Ce dernier a utilisé cette fois un fusil appartenant au chef, apporté au dernier moment, tirant dans l’escalier du navire sur Mazoyer parti inconsciemment faire sa sieste après avoir menacé de fusiller tout le monde (enquête officielle britannique et témoins). Il buvait trop sec.

Aucune enquête n’a encore porté sur les conditions anciennes et plus ré- centes de l’exercice de l’institution de l’exécuteur, que l’on rencontre dans toutes les cours de chefferie mélanésiennes et polynésienne authentiques. Il existe des témoignages anciens intéressants, mais portant sur des faits isolés. Cette institution correspond à l’idée européenne, fausse elle aussi, que les chefs dits de sang auraient pouvoir de vie et de mort sur leurs «sujets».

La réalité est que l’exécuteur n’intervenait que si l’opinion générale était exacerbée et favorable à une telle solution. Une autre réalité était que les intéressés étaient souvent conscients ou prévenus du danger et qu’ils s’exilaient spontanément à temps. Là où ils étaient reçus, ils changeaient généralement de comportement. On rencontre partout de ces exilés volontaires, ou leurs descendants.

12. L’affaire récente des morts de Maré montre comment l’ignorance peut devenir criminelle de par ses conséquences. Les ignorances sont ici en cascades. Celles des hommes politiques qui, sans réfléchir, ont retiré aux gendarmes la fonction de syndic des affaires coutumières, fonction présentant l’inconvénient d’être parfaitement inconstitutionnelle, pour la confier à de jeunes fonctionnaires locaux dépourvus de formation par absence de personne compétente, et par conséquent ignorants partout l’état des dossiers et trop souvent se réclamant de pouvoirs imaginaires.

Je soupçonne que l‘intention au départ n’était guère charitable. Certains, ce n’est pas la première fois, voulaient de manière évidente rechercher les moyens de créer des conflits à l’intérieur de la société canaque ou de profiter des conflits existants. On aurait mieux fait de tout simplement transférer l’état-civil canaque aux municipalités et d’oublier la fonction coloniale de syndic des affaires autochtones, même si la Gendarmerie y était bien à tort attachée.

Du fait de l’ignorance de ces nouveaux fonctionnaires, qui n’ont ni compétence ni autorité, on en a vu un se rendre ridicule en voulant se mêler de la suc- cession de la chefferie de Yaté (aucun texte juridiquement acceptable ne lui permettait pareille intervention), on peut s’attendre soit à des catastrophes, soit à des agents aussi incompétents qu’inutiles.

Ce sera à Maré une catastrophe. Certainement manipulée de Nouméa par des intérêts immobiliers cachés, comme dans l’affaire Konhu, comme dans le dossier qui avait aboutit à l’exil à Nouméa d’un maire de Lifou, blessé dans un affrontement à propos d’une histoire de terres où il avait voulu imposer ses vues, poussé par un homme d’affaires vietnamien.

Comme aussi l’affaire oubliée du «Relais de Fayaoué», terminée par l’incendie de cet hôtel, avait déjà vu le grand chef Bahit de Weneki accuser deux moniteurs protestants travaillant pour l’enseignement catholique, originaires de Gosana, qui seront innocentés, l’accusation étant vide, quoique le RPCR faisait feu des quatre fers dans un dossier dont il ignorait tout. Les interventions poli- tiques ont dégoûté le propriétaire du terrain, le chef Fleury Asafa Trongadjo de Wasaüjeü, qui mettra lui même le feu à son propre hôtel, reconstruisant les bun- galows pour les louer plus calmement par la suite à des fonctionnaires de passage.

Le gérant arabe avait imaginé de copier ce qui se pratiquait à ce moment- là à Port Moresby et de servir au bar les clients canaques par un trou dans le mur, leur interdisant de pénétrer dans le saint des saints réservé aux Blancs. Agir ainsi à Ouvéa était d’une inconscience totale. L’intéressé s’est fait depuis oublier à Tahiti.

On a parlé à Maré de querelles à propos de billets d’avion. On ne se tire pas dessus au fusil pour des billets d’avion. C’est la plus pauvre explication proposée depuis des générations. Vouloir y croire est montrer le degré d’ignorance au- quel on est parvenu à Nouméa.

13. Comme toujours aux îles, le dossier est fort ancien. Il remonte au mi- lieu du XIXe siècle, où le «Commandant des îles Loyautés», un fonctionnaire à l’époque sans grands moyens, avait su négocier calmement et en prenant son temps, pour obtenir une délimitation foncière d’accord-parties entre la chefferie Naisseline de Gwahma et les autres chefferies (deux d’entre elles fictives) de l‘ouest de l’île.

Cette délimitation est un chef-d’œuvre inconnu, elle a duré deux siècles sans être mise en cause. Le nouveau fonctionnaire chargé des affaires coutumières à Maré a parlé (dans quelles circonstances exactes ?) d’en revoir la configuration, ce qui a mis le feu aux poudres.

Mon propos n’est pas le détail de l’embuscade qui attendra à La Roche une manifestation de protestation venue de Gwahma, mais les facteurs objectifs en jeu.

L’un est démographique, le doublement de la population des îles tous les 25 ou 30 ans depuis les années 60, ce qui signifie des besoins alimentaires accrus et par conséquent l’impossibilité de rogner si peu que ce soit sur les terres agricoles disponibles. Celles-ci ayant d’autant plus de valeur que Maré est bien placée pour fournir Nouméa en légumes et en fruits frais.

L’autre est la géographie physique de Maré, née de la surrection de deux anciens lagons, ce qui crée une île en 8 et grosso modo trois types de formations:

a) des terres agricoles plus ou moins profondes, les moins nombreuses ;

b) des sols karstiques rocheux aux arêtes coupantes et recouverts d’une forêt impénétrable, qui sont les plus nombreux dans la moitié orientale de l’île, à Gwahma ;

c) des sols lessivés, contenant une forte part de bauxite et fort peu propres à l’agriculture, qui sont les plus nombreux dans la moitié occidentale de l’île, et pourraient être à l’origine de troubles neurologiques du fait de l‘aluminium contenu dans des sols d’habitats mal choisis. Contrairement à ce que la population calédonienne pense généralement, le minerai brut peut être un poison violent.

Les sols de part et d’autre de la limite, à la connexion entre les deux anciens lagons, sont les meilleurs et les plus profonds. Si la limite est repoussée vers l’est, la chefferie Naisseline n’aura plus accès aux terres permettant la culture des ignames longues, qui sont les ignames cérémonielles dont l’existence est essentielle à la vie traditionnelle insulaire. C’est la manipulation que voudrait réussir aujourd’hui la chefferie de La Roche, pas du tout suivie heureusement par l’en- semble de la moitié ouest de l‘île.

Il y a plusieurs décennies, il avait fallu déjà freiner les ardeurs du Père Marie-Joseph Dubois qui, à la mission mariste de La Roche, s’était déjà mis en tête à un moment de repousser la limite aux dépens des Naisseline.

A l’époque, les gendarmes en poste à Maré pratiquaient une prudence de serpent, évitant de partir en guerre contre ce chef Henri Naisseline, père de Nidoishi, qui leur mettait régulièrement sous les yeux des lettres en partie auto- graphes signées de la main du général de Gaulle, et disposait de la même capacité qu’eux de dactylographier des textes et de les faire circuler (les photocopieuses étaient encore inconnues), ce qui les épatait.

Il apparaît urgent de geler à nouveau ce dossier, du moins si l’on ne veut pas avoir d’autres morts sur le carreau, et ce qui par ailleurs livrerait les parties à leurs propres pressions internes plutôt que de nourrir de sang versé une mise en scène publique dont les ficelles sont tirées à Nouméa.

conclusion

L’inconvénient majeur de la politique juridique appliquée depuis les Accord de Nouméa est sa naïveté. On imagine de faire du neuf avec du vieux, de construire une politique de progrès en ayant systématiquement recours aux méthodes anciennes, aux petits cadres coloniaux et aux concepts artificiels conçus par le système de domination imposé pour humilier et réduire les insulaires a merci. Cela consiste à insérer les magistrats dans des situations qu’ils ne touchaient que de loin, ce qui valait mieux pour eux. Ils avaient la conscience plus tranquille.

Ils n’ont en effet jamais en mains les données nécessaires pour la compréhension des causes qu’on leur soumet parce qu’ils ne savent pas faire les enquêtes souhaitables et qu’ils les confient aux gendarmes, qui ne savent pas non plus. Et magistrats et gendarmes continuent à s’exprimer dans la langue officielle de l’époque coloniale, avec les mêmes mots et forcément les mêmes démarches.

Le résultat est parfaitement inefficace. Les Canaques racontent ce qui les arrange ou ne disent rien d’utile. Les assesseurs dont au moins un est intéressé à la cause, même si ce n’est que de loin, ne sont pas très utiles. On ne sait jamais ce qu’ils représentent réellement. On aboutit deux fois sur trois à la décision qu’il ne fallait pas prendre. Et par conséquent les décisions ne sont pas appliquées, parce que les moyens d’y obliger n’existent pas sans grand danger d’enflammer toute une région. Le secret de cette situation : les magistrats ne savent jamais qui ils ont réellement en face d’eux. Croyant rendre la justice, ils font de la mauvaise répression. Et quand on tente d’intervenir à temps pour leur éviter la faute, on se fait dire qu’on se mêle de ce qui ne vous regarde pas.

Position inacceptable. J’ai été formé et payé par la République pour me mêler, d’une façon ou d’une autre, à tout ce qui concerne les insulaires, de manière à aboutir à une gouvernance plus juste et plus efficace. Lorsque j’essaie d’éviter un abus de pouvoir mal informé et déraisonnable, je suis entièrement dans ma fonction et j’ai souvent réussi. Bien plus que mes contradicteurs.

Professeur Jean Guiart Février 2014

COMMENTAIRES DE DOSSIERS:

1. affaire Kasarhèrou contre Karé

L’ennui est que les soi disant règles coutumières dont on se réclame n’existent pas la plupart du temps. Comme en Asie, d’où ils viennent en définitive, les Canaques règlent leurs problèmes en fonction des capacités de pression dont ils ont héritées, qu’ils subissent ou qu’ils ont acquises au sein des compétitions de prestige où ils se situent. La violence vient compenser l’absence de moyens plus pacifiques d’aboutir à une solution. Ceux qui prétendent qu’il y aurait des règles font travailler leur imagination. Toutes les situations imaginables se retrouvent dans l’ensemble des îles. Mais de leur fait à eux.

Les Kare sont issus des Kasarhèuru (ce qui est le nom véritable). Mais, comme dans tous les cas de ce genre, ils en sont devenus indépendants et la dé- cision de prendre un Kasarhèuru pour en faire un Karé relève exclusivement des Karé, encore plus pour en faire un chef Karé, ce qui est une stratégie parfaitement irréaliste. Les Kasarhèuru n’ont pas à se baptiser d’eux mêmes Karé. Les laisser faire était fort imprudent.

Il conviendrait de mettre un peu d’ordre dans tout cela en restreignant les changements d’état-civil aux noms relevant des lignées utérines (dont celle de la mère du père), à celle du père de l’épouse aussi, mais en maintenant systématiquement les décisions prises à la naissance. Les cas particuliers seraient traités dans la mesure où la stratégie en cause deviendrait claire.

Les individus impliquées dans le dossier judiciaire constituent beaucoup moins d’un dixième des personnes intéressées par le dossier, et l’on n’y voit pas le chef ciböy gwê è de Gondé, qui est celui qui devrait convoquer la réunion de conciliation. S’il ne l’a pas déjà fait, c’est que l’affaire n’est pas considérée comme mûre.

Nous avons affaire ici à une petite minorité, qui vise un but précis, au plan foncier, lequel n’apparaît pas clairement dans le dossier. Le tribunal n’a pas véritablement enquêté sur ce point. Pour y comprendre quelque chose, il conviendrait de connaître les liens de parenté exacts entre toutes les personnes. Ainsi que de situer les implantations foncières des uns et des autres à l’heure actuelle, les uns par rapport aux autres. Il y a une information essentielle que tout le monde cache, y compris les assesseurs canaques, à qui on n’a visiblement pas posé les questions pertinentes pour comprendre le meurtre. Ce dossier judiciaire donne l’impression de tourner autour du pot.

Le chef Karé du village de Nérin à Poya aurait dû être convoqué. Rien ne se fait chez les Karé de sérieux sans qu’il n’y participe. Le chef Wema de Boréaré aussi, qui peut fournir dans la tradition le contrepoint par rapport à ce dernier.

Une enquête rapide apporte une amorce d’explication. Les Kasarhèuru qui refusent de devenir Karé (ce qui est le contraire de ce qui est affirmé dans le dossier) se sont installés sur le terrain de Mazurier, à Dao, où est une des rares en- trées terrestres du pays des morts. C’est un des trois lieux les plus sacrés de la vallée de Houaïlou et le conflit est à propos de ce terrain, d’autres Karé estimant que c’était à eux de s’y installer, et que Dao relève du domaine général des Karé, ce qui était d’ailleurs le consensus précédent.

Le transfert d’Elia Kasarhèuru aux Karé pour prendre la chefferie aurait été un moyen de maintenir Dao à ceux qui s’y étaient installés. Cette stratégie parti- culière est fort peu traditionnelle et plutôt très moderne, imaginée pour la circonstance. En de tels cas, on procède plutôt par adoption d’une personne adulte.

Que Paul Kasarhèuru soit le père «coutumier» d’Elia est normalement un effet automatique de la parenté classificatoire où tous les frères de père et tous les cousin patrilinéaires de ces derniers sont des pères d’Ego. Mais si on veut qu’il soit le père coutumier en plus d’être l’oncle utérin, cela ne tient pas debout. On est l’un ou l’autre. On ne peut être à la fois l’un et l’autre. Tout cela vient de l’imprécision extrême de ce faux discours «coutumier» entre Blancs et canaques. Ces derniers disent trop souvent n’importe quoi, profitant d’un phénomène de mode intellectuelle chez les Blancs et sachant que l’ignorance fondamentale de ces derniers fera qu’ils seront pris au sérieux quoi qu’ils affirment.

Par ailleurs les Karé n’ont jamais rien confisqué au Kasarhèuru, le passage de l’un à l’autre étant une opération courante à Houaïlou et ailleurs, les Kasarhèuru étant eux mêmes issus des Manarhë de Neawowa (en francisation Neawa). Cette accusation ne correspond à rien.

Il s’y ajoute qu’en réalité Elia Kasarhèuru mourant a été déposé devant chez sa mère, qu’il avait, pour une raison inconnue, maudit, ce qui avait entraîné contre lui une de ces contre-malédictions automatiques qui constituent la réalité derrière bien des fausses affaires de sorcellerie. Le lien entre cette malédiction et l’affaire de Dao n’est pas évident. Par contre les exécuteurs agissaient certainement dans ce cadre, qui leur fournissait une justification traditionnelle dont ils n’ont pas parlé.

La notion de pardon a été introduite par la christianisation. Il n’existe aucune «coutume de pardon», mais des gestes destinés à effacer le sang, qui prennent une génération au moins à se mettre en place. Les gestes de pardon manifestés à la suite de l’affaire de la grotte et l’exécution de publique de Jean-Marie Tjibaou correspondent à des inventions cinématographiques (auxquelles les chefferies de Hienghène n’ont pas été amenées à participer, ce qui souligne l’artificialité des situations présentées).

Les assesseurs ici étaient par trop étrangers à la cause. Les gens des îles sont très ignorants de la Grande Terre, qu’ils appellent Mèèk, qu’ils ont tendance à mépriser s’il n’y ont pas longtemps résidé. Par ailleurs, chaque île bénéficie de ses propres points de chute sur la Grande Terre, où ses habitants y sont plus fa- cilement reçus et mieux informés. Pour un dossier de Houaïlou, un assesseur d’Ouvéa aurait été plus utile, et plus particulièrement un Ihili du village de Hwangge, dans l’intérieur de Fayaoué, groupe de descendance originaire en définitive de la basse rivière de Houaïlou, où ils sont connus sous le nom de Waghè.

Dans tous les cas les assesseurs ont eux aussi des parentés étendues, dont le respect, ou la criante, peut les obliger à ne pas parler de manière pertinente au tribunal, dont le président ne sait jamais jusqu’où ils sont potentiellement impliqués ou non. Ils ne le diront jamais. Il conviendrait de réaliser pour chaque affaire une couverture généalogique de tous les acteurs, assesseurs compris, on aurait des surprises.

2. accusation contre Poukiou Marcellin

Ce dossier est la conséquence de la décolonisation difficile de la vallée de Wakaya, où la colonisation était à la fois brutale et très déculturée. Elle est partie tout d’un coup et rien n’avait été préparé. Les habitudes ont été soudainement transformées et chacun s’est poussé du coude pour en tirer le le meilleur profit. Les propriétés européennes à se partager ne correspondant pas aux limites traditionnelles, les gens ont tendance à s’attribuer un avantage en prenant en compte les limites introduites par les Blancs, ce qui désavantage automatiquement d’autres qui voient ainsi une partie de leur domaine traditionnel leur passer ainsi sous le nez. La moindre affaire foncière de ce genre amène à prendre les fusils.

Quand il s’agit d’une grande étendue, comme dans le cas précédent, les li- mites sont moins pertinentes, mais dans une vallée encaissée comme Wakaya, les déplacements de limites ont automatiquement des effets plus drastiques.

Algret Neporo See est Allégret, du nom d’un ancien missionnaire protes- tant ayant succédé à Maurice Leenhardt. On trouve d’autres noms dont la mention est bizarre, pour des noms inscrits à l’état-civil coutumier : Lévy par exemple,

Lebolloch. Puis d’autres montrant que les jeunes gens de plusieurs villages ont participé aux événements. Qu’est ce que des Rhay font à Wakaya ? De même pour Sergio Bwehe qui n’avait normalement rien à voir là. Cette affaire semble au moins en partie aussi relever d’un phénomène de bandes à la recherche d’une action d’éclat. D’où la voiture volée.

Les Kaviereneva sont maîtres de la terre à Kaya.

3. affaire Wayawaya — cejo

Il manque dans le cas des deux enfants les noms vernaculaires donnés à la naisssance et qui définissent le statut social et le statut foncier de chacun. Ces noms ne peuvent être changés et ne sont donc pas négociables. Le dossier judiciaire est ainsi vide de sa partie essentielle, dont on ne veut visiblement pas que le tribunal en ait même connaissance.

Le libellé du jugement parle de «patronyme qui enracine dans la terre», parce qu’il pense qu’il s’agit du nom du clan, mais ce n’est pas le cas et le mystère reste entier ici. Le patronyme qui détermine tout n’est d’ailleurs pas plus connu des avocats défenseurs qui font des effets de manche dans l‘ignorance la plus complète de ce qui peut être en jeu. Chacun de ces noms ignorés (les noms Curtis et Fidelia ne signifient rien socialement) fait partie d’un lexique propre à chaque groupe de descendance, or il n’est pas certain que même Wayawaya et Cejo soient des noms reconnus à ce niveau-là. Le clan Cejo existe-t-il en tant que tel, je doute ? Le dossier ne spécifie pas où, ce qui rend le jugement difficile. En effet, l‘état-civil aux îles a fait l‘objet au départ de manipulations subtiles de la part du secrétaire d’administration canaque chargé de le mettre sur pied, essentiellement sur Lifou, et qui avait des comptes à régler.

L’exposé du père, M. Waya, montre des absences qui infirment son argumentation. Il connaît parfaitement le nom authentique de chacun de ses enfants et sait forcément s’il a été présent et a participé à ce choix définitif. De ce seul fait le jugement apparaît hors du temps, puisqu’il traite de facteurs qui ne sont pas réellement liés à la cause, celle-ci ayant été traitée et définitivement entendue à la naissance des enfants.

L’idée que les Mélanésiens ne reconnaissent pas la paternité biologique est une vieille lune de l’anthropologie naissante. Elle ne correspond à aucune évidence scientifique et il vaudrait mieux ne plus en parler. La seule notion des «enfants du chemin», pour désigner les enfants adultères, montre qu’elle ne correspond à rien, exprimée comme cela.

En faire un objet de croyance est le fait d’une vision primitiviste. Il existe un système de concepts exprimant une vision équilibrée des fonctions et des responsabilités différentes et complémentaires de l’homme et de la femme, mais ce système, qui trop souvent a tendance à mal évoluer et à servir de support à des volontés de lucre et à des abus de pouvoir, n’a jamais été un objet de croyance. On prétend qu’il l’est, bien à tort. Les Océaniens baladent bien moins d’idées a priori que nous.

Quel qu’il soit, le jugement n’aura aucune influence sur la réalité quotidienne déterminée par ces nom acceptés par le père à la naissance, soit en sa présence, soit que son absence voulue laissait faire les choses. Le recours au tribunal fait partie d’une stratégie qui se poursuivra au-delà, mais qui est infirmée dans son principe même par ce recours.

Il me semble que, du fait de la non définition de la localisation exacte des parties, ce jugement devrait être infirmé. Il ne fournit pas en effet une définition socialement satisfaisante des parties en cause, dont les positions antagonistes pourraient avoir des raisons qui n’apparaissent pas (les aires coutumières ne sont ni uniformes, ni aussi cohérentes qu’on veut bien le prétendre). En plus, l’hostilité du «clan» utérin à la reconnaissance de Curtis par son père, par la condition qu’il y ait mariage n’est pas satisfaisante. Il doit y avoir d’autres raisons pour cet entêtement. Les vrais noms ne sont pas donnés ici. La cour ici confond un état- civil très imparfait, celui de Lifou, avec un document authentique.

3. affaire saito

Si M. Saito est reconnu comme Mereatê, c’est qu’il a reçu un nom appartenant au lexique particulier des noms individuels chez les Mereatê, ce qui lui attribuerait un statut social et un statut foncier, mais personne ne parle ici de l’information la plus importante. Il n’est question dans ce jugement que de tribu et de clan, tous concepts sans la moindre pertinence par rapport au dossier.

La cour ignore que les prénoms à l’européenne n’existent pas en Océanie et ne peuvent de ce fait servir d’arguments juridiques. Les noms portés augmentant de nombre facilement au cours de la vie et chacun signifie autre chose.

On doit noter que manque ici un élément d’information fondamental, la part de terres qui serait affectée à M. Saito Mereatê en fonction du nom qu’il porte de- puis sa naissance. De ce point de vue, le nom de Minole n’est peut-être pas convaincant. Lui ne parle pas de son statut foncier. En tant que métis japonais, il est possible qu’il n’en ait pas. La cour semble ignorer le problème.

Or les villages de Tiawe et de Koniambo, mentionnés dans l’acte, sont des villages de regroupement très tôt du fait de l’action des troupes françaises brûlant

les habitats et chassant lees gens de chez eux. De ce seul fait, à l’intérieur de Ré- serves insuffisantes, et en dimensions et en valeur agricole des sols, qu’on a bien voulu leur accorder, naissent des problèmes de co-existence de plus en plus aigus du fait de la croissance démographique. La cour n’a pas envisagé les conséquences concrètes de sa décision.

4. affaire Karl Poadey

Encore une affaire de métis japonais (par sa mère). Ce dernier est sincère et direct. Il veut être de statut coutumier pour exercer alors ses droits fonciers. . . sur des terres en grande partie minéralisées en nickel. La localisation, Koniambo, où les terres de la Réserve et les terres affectées à l’usine se touchent dangereusement, fait qu’on risque là d’avoir à juger d’un problème encore plus grave par la suite, le refus des gens de Koniambo de laisser M. Poadey se trans- former en «petit mineur» ou l’opposition à ce qu’il vende des terres minéralisées, mais juridiquement incessibles. Ici encore, l’information essentielle est celée au tribunal, la proportion de Ni contenu dans quelles terres revendiquées potentiellement.

5. affaire ujicas — Livoholo

Ici, on ne sait rien du père, né à Santo, ce qui, sous cette forme simplifiée, ne veut rien dire. Le tribunal juge sans rien savoir de ce dernier, qui peut être urbanisé et très acculturé, le dossier n’en dit rien, quoique un adjectif, p. 4/13 semble impliquer que le père est de nationalité française. Il y a de tout à Luganville, des gens de toutes origines et de statuts juridiques passablement complexes. Le dossier ne précise pas une naissance hors Luganville, potentiellement plus intéressante (l’existence des descendants des groupes massacrés par les Espagnols dé- couvreurs de l’île).

A noter que l’affirmation selon laquelle l’enfant appartient au clan mater- nel à moins que le clan paternel n’ait fait une «coutume» pour le demander est une noble fiction. L’enfant appartient au groupe de descendance propriétaire du nom qu’on lui a donné à la naissance, et qui peut être une lignée utérine aussi bien qu’une lignée extérieure ayant offert le nom, le statut social et le statut foncier qui vont avec. Seul l’ainé des enfants mâles reçoit le nom de son grand-père paternel vrai et par conséquent appartient au même groupe de descendance que lui.

L’ignorance du véritable statut du père, immigré d’où avant d’avoir été classé comme ressortissant français au Vanuatu, déséquilibre toute la cause et rend le jugement peu convaincant. Par contre, Ujicas est un des grand noms de

Lifou, à Wé, et il importerai de connaître le rang de naissance de la mère, de manière à avoir une idée de son statut à elle. Est-elle première-née, auquel cas c’est elle qui aura raison dans tous les cas, jugement ou pas jugement ?

6. affaire Laene contre Vara (en réalité Padhoom et Tijin)

Les parties sont chacune dans un univers para légal qui n’a rien à voir avec la tradition canaque. Les biens mobiliers et immobiliers en cause ne relèvent en aucune façon des Padhoom et des Tijin, les vrais noms des groupes de descendance des beaux-fils de la veuve spoliée (on les a à la naissance affectés chacun à des groupes de descendance différents). Le nom Vara est un nom individuel transformée en patronyme par la grâce des gendarmes chargés de l’état-civil, ce qui embrouille tout.

L’argumentation des beaux-fils est fausse, les biens ne pouvant appartenir à deux groupes à la fois, comme eux non plus.Tout le processus de spoliation de la veuve est de ce fait illégitime. La procédure dite coutumière nécessitant soi-disant la réunion du clan et la tenue d’un palabre est une invention récente, qui n’a rien à voir avec la tradition canaque, où les choses sont déterminées à la naissance, et seuls les biens meubles pouvant être transmis entre deux générations connexes, des parents aux enfants, le statut foncier et le statut social sautant une génération.

Il est quand même extraordinaire de fonder un jugement sur la réunion d’un clan Vara qui n’existe pas. Comme manipulation, il est difficile de faire mieux et les deux beaux-fils se moquent ouvertement de nous.

En ce qui me concerne, faire décider par de soi disant institutions coutumières des attributions de biens relevant du code civil et du développement économique me paraît une idée fausse, les règles générales selon moi devant s’appliquer, la tradition ne pouvant pas régir des initiatives économiques modernes sans créer une forme d’anarchie. Personne n’a imaginé de faire régir par la «coutume» les 51 % de parts détenus par la SMSP dans le projet de Koniambo.

7. Guy savot et enga Luewadria contre Pierre Zéula

Peng est le lieu physique de la contestation de la grande chefferie de Pierre Zéula. Son père Cope Zéula, pour mieux les contrôler, a fait monter les habitants de Peng sur le plateau à Hapetra. Ils ont obéi, mais cela n’a pas plu. La nature ayant horreur du vide et le site étant magnifique, le couple Luewadria — Savot

en a tiré bénéfice commercialement. Ce qui n’a pas plu non plus, Savot s’étant installé en vertu de droits qu’aurait détenu son épouse, ce qui est un raccourci européen. Il n’a pas imaginé qu’il lui faudrait des alliés et que sinon il se retrouverait dans une situation non de droit, mais de force brute.

L’argumentaire du grand chef n’est pas juridiquement acceptable sous cette forme-là. Aucune terre ne dépend de la tribu de Hapetra, laquelle n’existe pas et ne saurait être considérée comme un entité juridique légitime, puisqu’elle est le fruit de la conquête et d’un régime colonial imposé, et par conséquent illégitime en droit international.

L’autorité du petit chef de Hapetra, très petit fonctionnaire colonial, n’a aucun fondement traditionnel en tant que se voulant appliqué à une communauté artificielle créée ex nihilo. Le grand chef ne détient aucun pouvoir foncier en tant que tel, sinon une capacité d’arbitrage.

Cette affaire est née tout simplement de la simplicité d’un originaire de Saône et Loire sans expérience océanienne approfondie et de la jalousie de tous ceux qui ne participaient pas à l’affaire touristique au petit pied qui marchait relativement bien. Il n’existe aucun moyen légal d’expulser Mme Luewadria, qui est chez elle et n’a commis aucune infraction autre que de s’attribuer une autorité qu’elle n’a pas, tout comme ses opposants d’ailleurs. Par contre, on pourrait amener le couple à sortir pas à pas de leur solitude et chercher à partager et élargir les bénéfices de toute cette activité, dont il serait dommage qu’elle s’arrête. Mais cela ne relève en aucune manière de la magistrature qui devrait se déclarer incompétente, dans l’instant, en avalisant les commentaires ci dessus.

8. affaire Wathiepel contre iwan

La «tribu» de Luèngöni présente la particularité d’être la plus métissée de Lifou et d’y contenir le plus de personnes de statut commun, lesquelles prétendent depuis des générations vivre au plan foncier en fonction de la «coutume», mangeant commodément aux deux râteliers, ce qui ne gêne personne jusqu’à ce que naisse un conflit.

Les éléments objectifs permettant d’éclairer la cause sont que les ten adro, maîtres de la terre à Luèngöni sont les Luete Hlekötrin et les Wasauhmie Xötre- delè. Wathiepel Wathanganya vient de Jokin, dans le nord du pays de Wetr, mais il a été sans descendance. Il a été remplacé par un Haeweng venu de Wetr, qui n’aura qu’une fille et adoptera Jemès, père de Sake qui sera petit chef de Luèngöni.

Les droits fonciers du Wathiepel présent ne sont pas les plus certains dans le détail. Triji signifie gens de la mer et donc ici de fait immigrés. En effet, les

droits ne se comptent pas en surfaces, ni en limites, mais en points dans l’espace répartis autour d’un sentier qui est le seul élément véritablement approprié. Le problème est donc toujours à qui appartient le sentier : qui a le droit d’y circuler exclusivement. Or aucun des acteurs n’a posé le problème, sinon sous une forme indirecte au bénéfice de Wathiepel.

Les frères dits Iwan, en réalité Luete Hlekötrin, sont en bonne position pour dire le droit traditionnel. Mais toutes ces indications n’expliquent pas l’origine de la querelle. Le clan Iwan n’existe pas, cela n’est pas son vrai nom. On a vu aussi que les Wathiepel ne viennent pas de Kiamu et que nous sommes là en présence du résultat potentiellement instable d’une cascade d’adoptions en une période de démographie basse.

Un facteur négligé est l’intervention du service de l’agriculture qui crée à chaque fois la méfiance et la crainte d’une confiscation de la terre par les pouvoirs publics, type de méfiance très fréquent. Des chefs de service locaux fort peu honnêtes ont laissé au service une réputation épouvantable et très peu de gens acceptent d’y toucher, à moins qu’ils ne recherchent, comme ici, une validation officielle pour une parcelle dont le droit à l’utiliser est contesté, dans un contexte où plane la menace, inefficace et dangereuse, de l’établissement d’un cadastre, dont l’effet premier serait de figer les situations dans un système qui a gardé jusqu’à présent sa flexibilité.

A noter que le jugement devrait être déclaré nul du fait que dans sa page 2/10, en bas de la page, il mélange tout et affecte M. Wathiepel au clan Hlekötim, justement son adversaire.

N. B. La conclusion de cet examen de dossiers est d’une part la complicité générale pour que le tribunal n’accède jamais aux raisons véritables de la cause, quelque soit le lieu, d’autre part l’accumulation d’ignorances dans le système «coutumier» officiel, depuis que le premier gendarme s’est saisi du premier conflit entre canaques. Les magistrats ici nagent dans la confiture et nul ne leur est d’aucun secours. on tombe sur des cas où véritablement les acteurs marquent ouvertement le plus grand mépris pour le système où ils sont pourtant en train de déployer leurs stratégies.

accessoirement, la présence d’avocats blancs bien sûr, ou du moins non canaques, n’amène rien d’utile aux différents dossiers. ils sont de loin les acteurs les plus ignorants. on pourrait s’en passer.

J’imaginerai volontiers la désignation pour chaque dossier d’un groupe de trois arbitres, pris sur une liste proposée par la municipalité avec la collaboration obligatoire de son opposition et la disparition des tribunaux coutumiers dont la lourdeur et les ignorances accumulées me paraissent contraires au principe d’efficacité. Les affaires de sang relèveraient des tribunaux normaux qui au- raient alors l’obligation de rechercher tous les éléments qui n’apparaissent pas habituellement en pareilles affaires et en particulier les conflits fonciers toujours sous-jacents.

Je note qu’en ces affaires de meurtres, le témoignage des pasteurs ou diacres, catéchistes ou prêtres n’a pas été sollicité. il aurait pu mettre sur la piste d’un niveau de faits plus réels. Pourquoi cette source d’information a-t-elle été méprisée ? quand les prêtres et les pasteurs étaient blancs, on allait les voir. il est possible que leurs successeurs évitent d’être impliqués.

photo A.Pizio

photo A.Pizio

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